L’historien Michel Pastoureau est le grand spécialiste des emblèmes, couleurs et images. Dans ce petit livre aux images magnifiques il décrit la riche histoire médiévale de notre jeu et en décrypte la symbolique.
J’ai énormément appris dans ce livre, notamment sur l’histoire et l’évolution des pièces du jeu d’échecs. Avec beaucoup de plaisir car c’est bien écrit, concis et très clair, et les images de pièces médiévales invitent à la rêverie. Certaines interprétations historiques sont originales et toujours bien étayées. Un travail brillant !
J’espère que cet ouvrage de 2012 sera bientôt réédité, car en 2023 il est difficile à trouver. Je résume ci-dessous les idées qui m’ont le plus marqué.
Origines :
Invention du jeu à la fin du 6e siècle au nord de l’Inde, arrivée rapide en Perse, qui fait bientôt partie du monde musulman.
Arrivée du jeu en Europe vers l’an mille.
Couleurs du jeu :
Les pièces étaient rouges et noires en Inde et en Perse, deux couleurs antagonistes dans leurs cultures.
En Europe au départ et pendant deux siècles on préfère la symbolique rouge contre blanc, symboliquement “le couple de contraires le plus fort” pour la sensibilité chrétienne de l’époque féodale.
C’est au cours du 13e siècle que les pièces d’échecs passent progressivement au noir contre blanc, suite à la large diffusion des théories d’Aristote sur la classification des couleurs dans lesquelles le blanc et le noir sont les deux pôles extrêmes. Au milieu du 14e siècle les pièces rouges sont devenues rares.
C’est aussi au 13e siècle que l’on se met à jouer sur un échiquier aux cases noires et blanches, bien pratique pour visualiser les déplacements en diagonale.
Auparavant, en Occident comme en Orient, on jouait le plus souvent sur un échiquier sans couleurs, constitué de lignes horizontales et verticales qu’on pouvait tracer à la craie sur une surface en pierre ou en bois juste avant de jouer. Sinon, quand les cases étaient colorées c’était aux mêmes couleurs que les pièces.
Évolution des pièces :
A l’arrivée du jeu en Occident, certaines pièces comme le roi, le cavalier et le fantassin (pion) sont faciles à comprendre. D’autres pièces déroutent les occidentaux, et ils vont les transformer.
Le vizir – principal conseiller du roi, nommé firzan en langue arabe – va être progressivement transformé en reine, et cette mutation se termine dans la première moitié du 13e siècle. Les pièces d’échecs christianisées sont davantage pensées comme une cour royale que comme une armée.
Problème : la promotion des pions peut faire apparaître plusieurs reines alors qu’un roi chrétien ne doit avoir qu’une seule femme. “On prit alors l’habitude de qualifier de dames les pions promus et de n’appeler reine que la seule pièce formant couple avec le roi.”
L’éléphant avait un rôle de premier plan dans une armée indienne, et les Arabes l’ont conservé. Mais, comme pour les autres pièces, “ils le stylisèrent fortement, l’islam interdisant (en théorie du moins) la représentation figurée d’êtres animés.” Ils ne conservèrent que les défenses de l’éléphant sous la forme de deux protubérances en haut de la pièce.
Les occidentaux n’ont rien compris à ces défenses d’éléphant stylisées.
Certains ont reconnu une mitre d’évêque, qui à l’époque comportait deux protubérances latérales. D’où le terme bishop utilisé encore aujourd’hui par les anglo-saxons.
D’autres ont pensé au bonnet du bouffon du roi, et voici notre fou.
Le char du jeu persan a été d’abord maintenu tel quel en Europe, puis a eu une histoire instable et a subi toutes sortes de transformations (animaux exotiques, scènes à deux personnages) avant de devenir finalement la tour au 15e siècle.
On ne sait pas vraiment pourquoi la tour est apparue. “Peut-être a-t-on rapproché le mot latin désignant cette pièce, rochus (que l’on avait calqué sur l’arabe rukh, char) du mot italien rocca désignant une forteresse ?”
Pièces d’échecs célèbres :
Michel Pastoureau raconte la riche histoire des pièces de l’île de Lewis, et des pièces dites “de Charlemagne”.
Pastoureau Michel, Le jeu d’échecs médiéval. Une histoire symbolique, Éditions Le Léopard d’or, Paris, 2012